Sens Multiple : Techno

La techno, aspect spectaculaire et médiatique de la culture populaire contemporaine, est-elle autre chose qu’ un simple divertissement, un échappatoire à ce monde qu’aucune idéologie ne prétend plus finaliser ? Comme tout phénomène de mode, elle relève en réalité d’une nécessité dans laquelle l’homme trouve les moyens de s’expérimenter, d’aller au-delà des formes imposées à son existence. Par l’appropriation et le détournement de la technologie à des fins festives et esthétiques, le mouvement techno peut —de ce point de vue— être considéré comme une sorte de laboratoire artistique et politique du présent.

freeparty : Heretik à la piscine Molitor en 2001

“Sans en faire de quelque façon son thème ni un de ses messages, la musique techno, dans son bruyant silence, semble laisser entendre que les figures socio-historiques du Sens ne font plus sens, et ne peuvent plus en conséquence fragmenter le monde selon une partition ethnique et politique qui l’avait jusque là distribué en identités séparées ou opposées. Cette musique serait alors celle du commun du monde, musique éminemment cosmopolitique… Comme on peut s’en rendre compte dans les raves – mais aussi dans de nombreuses pratiques artistiques contemporaines -, l’art et le politique ne sont plus séparés comme s’ils définissaient des champs opératoires hétérogènes, mais sont en quelque sorte soudés l’un à l’autre dans des agencements collectifs souples et éphémères se formant autour de sensations communes.

“Qu’il y ait toutefois une telle convergence de l’art (les arts et les techniques) et du politique, ne signifie pas pour autant que nous sommes renvoyés à une esthétisation du politique (la communauté comme œuvre d’art), ni même à une politisation de l’art (l’art social ou l’art critique). Cela nous indique peut-être seulement qu’il nous reste à mettre en oeuvre un art qui ne soit plus seulement représentation de l’Idéal, une technique qui ne soit plus finalisée exclusivement par les impératifs économiques, et un espace politique qui ne repose plus sur une quelconque vérité. Tout un programme qui renvoie, au fond, à la possibilité d’inventer singulièrement et collectivement une existence qui ne serait plus détournée de sa ” finitude ” et de son libre déploiement dans l’horizon d’une mondialité métissée et a-territoriale. Cela pourrait bien être pour notre temps, pour ” nous ” qui le partageons – n’en déplaise aux défenseurs de la pureté et de l’Idéal – à la fois notre tâche et notre destin.

Texte de Michel Gaillot ; entretiens avec Michel Maffesoli et Jean-Luc Nancy.
 
paru en juin 1998
 
Also available in English edition.
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